21Symbole d’érotisme et de séduction, de féminité, de tradition ancestrale, de prostitution… Les bracelets de cheville ont, à travers les temps, véhiculé toutes sortes de significations et de codes au Maghreb. Le kholkhal, bijou berbère, faisait même partie de la dot qu’offrait un homme à son épouse. Convoitée, controversée, décriée, cette parure interpelle quant à sa finalité.
C’est une parure ornementale connue de plusieurs cultures : en Inde, en Asie du Sud-Est ou en Afrique. On trouve sa trace à l’époque préhistorique, mais sa signification diffère à travers les âges. Si, en Inde, elle est une tradition, dans l’Égypte ancienne elle est peu honorable. Marqueur social, le bijou de cheville permettait de distinguer la prostituée de la femme de haut rang. Aujourd’hui, les Égyptiennes n’arborent plus de chaîne de cheville en public, car synonyme de libertinage. Seules les danseuses continuent à en porter lors de spectacle. L’anneau de cheville, lourd et pesant, a aussi été un élément important de la parure des femmes d’Afrique du Nord. De manière générale, « un bijou vous donne une identité, souligne Djamila Chakour, chargée de collections et d’expositions à l’Institut du monde arabe. Il permettait de savoir à quelle tribu vous apparteniez, d’où vous veniez géographiquement. On retrouve l’anneau de cheville dans les villes princières du Maroc comme Fès et Marrakech. Mais aussi, dans les villages ruraux, et en Kabylie. » Henriette Camps-Fabrer, dans l’Encyclopédie berbère, souligne que : « Les anneaux de cheville peuvent être plus ou moins massifs. Ils sont toujours ouverts, de section circulaire et les deux extrémités affectent le plus souvent la forme d’une tête de serpent. » À la fois vénéré et redouté, ce reptile est symbole de fertilité et de régénérescence.
OBJET DE FANTASME
« De la fin du XVIIIe siècle à la première moitié du XIXe, l’anneau de cheville est un bijou traditionnel, acquis pour le trousseau de la mariée, poursuit Djamila Chakour. La cheville forte fait fantasmer l’homme, contrairement à une cheville fine qui laisse apparaître les os. Dans la poésie antéislamique, notamment les Mu’allaqât qui marquent les débuts de la poésie arabe, la cheville est vantée par les poètes. Ces bijoux viennent mettre en valeur cette partie du corps. » Les Mu’allaqât (ou Suspendues) sont de grandes odes, composées au XIXe siècle par différents poètes issus du vaste territoire de la péninsule arabique. Elles portent ce nom parce que les Arabes païens les auraient écrites en lettres d’or sur des tissus qu’ils auraient suspendus sur les murs de la Ka’ba, haut lieu de pèlerinage à La Mecque. Dans ce passage, traduit par l’anthropologue orientaliste français Jacques Berque, le poète arabe préislamique Imrû’l-Qays évoque la cheville de sa belle Fatima : « Ce qui de moi t’égare, c’est qu’à mourir, je t’aime (…) Elle se laisse aller sur moi, maigre de taille, plantureuse à ses bracelets de cheville. Svelte, blanche, irrépandue, polie comme un miroir. (…) Chevelure parant le dos, charbonneuse, touffue, comme le régime impétueux du dattier… » Les anneaux de cheville s’inscrivaient dans un rite de séduction : sans même la voir, on pouvait deviner le physique d’une femme, rien qu’au son de ses anneaux rythmés par la démarche. Silencieux, ils collaient à sa cheville, augurant de jolies jambes charnues.
UNE TRADITION QUI SE PERD
Grâce aux travaux photographiques de Jean Besancenot sur les parures et les costumes traditionnels des différentes ethnies au Maroc, menés dans les années 30, et à d’autres recherches ethnologiques conduites dans le pays dans les années 50, on trouve trace des bijoux de cheville. Une tradition qui a commencé à s’éteindre à partir des années 80. Aujourd’hui au Maghreb, la tradition de la parure de cheville a quasiment disparu. « Sur la période contemporaine, les bijoux de cheville sont controversés. De nos jours, on n’aime pas que les filles portent des bijoux de cheville, c’est péjoratif », glisse Djamila Chakour. Pourquoi ? La réponse tient peut-être à l’introduction de la mode indienne des bijoux de cheville en Occident. Vu du Maghreb, avec le temps, ces bijoux ont été considérés comme ayant une influence occidentale, connotée péjorative. L’an dernier, l’exposition « Des trésors à porter – Bijoux et parures du Maghreb », à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, a connu un franc succès. Elle a fait l’objet d’une publication, disponible sur le site et dans la boutique de l’IMA, pour en apprendre davantage sur les bijoux de fête comme du quotidien, notamment les bijoux de cheville, sur le savoir-faire des artisans ou des particuliers qui les ont façonnés.